L'aventure syrienne (1923-1928)
Paul Perdrizet et trois dignitaires ottomans à Antioche en septembre-octobre 1924.
Paul Perdrizet ne paraît ainsi plus avoir de projet scientifique d’envergure, en 1923, lorsqu’il est approché par son vieux maître, Théophile Homolle, au nom de l’Académie des inscriptions et belles lettres, pour entreprendre l’exploration archéologique d’Antioche : Homolle n’a pas oublié l’archéologue méthodique et perspicace que son élève fut à Delphes. L’obtention du mandat sur le Levant a donné à la France de vastes responsabilités et de nouvelles possibilités dans la région : l’Armée encourage les institutions scientifiques à ouvrir de nouveaux chantiers archéologiques pour renforcer symboliquement l’emprise française sur le pays. Les villes antiques de Palmyre et d’Antioche constituent une priorité. L’entreprise est prestigieuse et flatte le goût de Perdrizet pour l’étude de l’hellénisme hors de Grèce : faute de Macédoine, c’est donc en Syrie qu’il retourne, après quelques hésitations.
Il recrute pour l’accompagner un jeune Athénien prometteur, originaire de Mulhouse et dont il a eu l’occasion de fréquenter la famille à la SIM, Henri Seyrig, avec lequel il se lie immédiatement d’une profonde amitié. Les moyens mis à la disposition de la mission sont modestes au regard des enjeux : le budget de 20 000 F est fourni à part égale par la Société française d’archéologie et l’État syrien des Alaouites. Paul Perdrizet conçoit donc la première mission, repoussée à l’automne 1924 pour des raisons administratives, comme une campagne exploratoire. Elle s’écarte très vite de son objectif originel : la stratigraphie du sous-sol d’Antioche exigerait en effet pour des fouilles des moyens hors de portée de la mission. Les deux hommes reportent donc leurs efforts sur le port d’Antioche, Séleucie de Piérie, où une prospection topographique et épigraphique donne des résultats conséquents. Deux petites fouilles permettent même de dégager les fondations de deux temples sur l’acropole. Cette première campagne est complétée par un détour à Membidj, l’antique Hiérapolis de Syrie, sur la demande des autorités militaires françaises d’Alep, qui jugent le site prometteur.
Paul Perdrizet éprouve une certaine déception de ne pas avoir trouvé à Antioche l’équivalent, en termes de chantier archéologique, d’une Delphes syrienne, mais la mission est néanmoins considérée comme un succès. Une deuxième campagne est donc organisée à l’automne 1925 avec deux nouveaux objectifs : compléter l’exploration de Séleucie et fouiller le sanctuaire de la Dea Syria à Hiérapolis. Un jeune archéologue se joint à la mission : Daniel Schlumberger, élève de Paul Perdrizet à Strasbourg, découvre la Syrie comme l’avait fait l’année précédente Henri Seyrig. Les deux hommes forgent lors de cette campagne de 1925 une amitié qui les conduira à prendre en main de concert l’organisation du service des Antiquités de Syrie après 1929. La deuxième mission Perdrizet-Seyrig en Syrie de nord est toutefois un échec : les fouilles de Membidj ne donnent rien, à tel point que, de nouveau, Paul Perdrizet tente de trouver ailleurs les raisons d’espérer un grand succès archéologique. Il mène plusieurs prospections au-delà de l’Euphrate et redécouvre l’intérêt de deux sites déjà signalés par les voyageurs mais peu ou mal explorés, le site assyrien d’Arslan Tash et Tell Ahmar, la cité néo-hittite de Til Barsip.
Malgré les vifs encouragements de René Dussaud, directeur de facto de l’archéologie française en Syrie, à retourner fouiller ces deux sites mésopotamiens, Paul Perdrizet et Henri Seyrig y renoncent toutefois en 1926, le premier par lassitude, le second par manque d’intérêt pour ces antiquités pré-helléniques. Après une nouvelle tentative de retour à Séleucie de Piérie en 1928, qu’Henri Seyrig prépare par une prospection solitaire au printemps, les deux hommes semblent se résoudre à publier en l’état leurs résultats. Mais Paul Perdrizet se laisse distraire par de nouveaux projets égyptiens et des recherches en vue d’une monographie historique sur la perle, si bien que l’ouvrage entrepris avec Henri Seyrig ne paraît jamais.
L’absence de publication révèle aussi l’échec relatif de ces missions : Paul Perdrizet n’a pas souhaité publier un matériel qu’il jugeait insuffisant, en tout cas sans rapport avec les espoirs qu’il avait placés dans ce projet. Mais la modestie des moyens financiers et humains mobilisés rendait probablement tout autre résultat illusoire.